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Peuple Football

Le boulevard où j’habite est souvent animé, c’est l’une des artères les plus populaires de la ville. Et lors de certains évènements, les sons qui arrivent à mon troisième étage deviennent plus vifs qu’à l’accoutumée, les dialogues plus audibles, les rires plus éclatants.

Ce soir-là, 4 décembre 2022, ce sont les huitièmes de finale de la Coupe du Monde de Football. La France affronte la Pologne. Des groupes de supporters commencent à se rassembler devant l’écran géant du bar d’en bas, c’est la première fois de la compétition qu’ils sont aussi nombreux. Frénésie, jubilation, ferveur : la soirée va être belle.

La match vient de commencer, la foule devient de plus en plus compacte, le serveur du bar nous demande de ne pas empiéter sur la rue, pour des raisons de sécurité. Preuve que personne n’a pas anticipé autant de personnes sur les trottoirs, les bus circulent toujours dans le couloir qui jouxte la terrasse du café. Je réussis à me faufiler entre les supporters. Des passants ou des cyclistes s’arrêtent de temps à autres. Les visages sont tous dirigés vers l’écran, les mains bien serrées autour des verres de bière. Les regards sont concentrés, et le moindre échange de ballon se traduit en réaction.

C’est le point de départ de cet ouvrage. Les matchs qui suivront connaîtront de plus en plus de ferveur et de passion. La joie, l’empathie, la jubilation, mais aussi la déception et la tristesse. Car la suite, nous la connaissons tous désormais.

Quelques jours plus tard, au dernier tir au but du match de la finale, une rumeur sourde de déception envahit les lieux. Des visages se rabaissent entre les mains, d’autres se tournent vers le voisin, tenant de trouver une réponse ou du réconfort. Stupéfaction, mais l’évidence est là : la France ne sera pas championne du monde. En moins de temps qu’il ne le faut pour l’écrire, l’espace se vide. Les supporteurs venus progressivement remplir les bars du centre font chemin inverse. La vie normale d’un dimanche soir en ville reprend ses droits.

Cette Coupe du Monde est décidemment celle du revirement. La finale vient simplement ponctuer ce constat. Du boycott encouragé, avant la compétition à l’engouement général. Des rues pleines à craquer aux abords des bars aux ruelles adjacentes désertes. Des feuilles automnales sur les arbres durant les phases de qualification aux branches hivernales toutes dépourvues, lors de la phase finale. Des battements du coeur qui n’en finissent plus de virevolter. Des rires aux pleurs.

Un microcosme de paradoxes qu’il fallait immortaliser, à la volée, parfois sereinement de façon inaperçue, parfois de façon plus chaotique, au beau milieu d’une foule déchaînée. Ces ambiances transformées sont au cœur de cet ouvrage. : c’est ce papi sur son vélo qui arrête son parcours pour visionner quelques minutes sur l’écran géant devenu public, ce sont ces regards concentrés qui attendent patiemment une action constructive, ou ces euphoriques qui seraient prêts à casser des chaises après un but, ce sont ces téléphones portables hissés, ces lumières, ces mains, ces fumigènes inondant de leur fumée la frénésie ambiante. C’est aussi une ville, à côté, qui n’en a que faire de ce sport, et qui poursuit lentement sa routine quotidienne.

Tout n’aura été, en fin de comptes, que contraires, opposés, parallèles jusqu’à la conclusion finale, fatale.